Parmi les arguments fallacieux, ces interactions du quotidien si chères aux débatteurs, ces   amateurs de joutes verbales, qui existent parfois davantage pour influencer la galerie que pour porter une idée, il en est qui surclassent les autres à bien des égards, et c’est certainement le cas de l’ad hominem.

Rappelons que cet argument trompeur consiste à disqualifier une thèse en attaquant la personne qui la défend, plutôt que de répondre à son contenu. Il opère donc un passage graduel ou brutal entre la validité d’une idée et une valeur psychologique, morale, sociale, politique, cultuelle… liée à l’émetteur.

Entre autres critères qui le caractérisent, nous retrouvons une attaque de la personne, pas de son argument; l’absence de tout lien logique entre les défauts invoqués et l’argument; un déplacement de la discussion et une apparente réfutation.

Dans de nombreux débats, des hommes et femmes politiques en viennent à attaquer leurs “collègues” sans répondre ou débattre sur le fond, peut-être parce qu’ils ne sont pas à la hauteur du débat éthique. Peut-être préfèrent-ils une approche dépourvue de respect ou peut-être recherchent-ils un accès plus aisé à un résultat, sans se préoccuper des aspects moraux.

En tous les cas, son utilisation abondante sur les plateaux de télévision a prouvé leur efficacité et sa redoutable puissance. 

Tout d’abord, il titille l’émotion chez l’autre, ce qui a la capacité à court-circuiter la raison et enclencher un fonctionnement en mode “comportements automatiques”.

Ensuite, il diminue l’effort cognitif des spectateurs ou téléspectateurs en leur proposant inconsciemment de ne pas réfléchir au fond, mais bien à la forme des échanges.

Enfin, il exploite ou active différents biais cognitifs, comme le biais de confirmation d’hypothèse (ceux qui avaient déjà tendance à ne pas penser du bien de ce débatteur s’en trouvent confirmés), l’effet de Halo négatif (la projection d’une impression d’antipathie crée par l’ad hominem sur d’autres défauts ou faiblesses), la corrélation illusoire (entre ce qui est mis en évidence par l’ad hominem et d’autres caractéristiques négatives de la personne), la dévaluation réactive (tout ce qui sera dit par cette personne sera filtré par l’effet de l’ad hominem), pour ne citer que ceux-là.

Voici quelques formes très puissantes de l’argument ad hominem :

Tu dis cela parce que cela sert ta situation

Tu es trop impliqué émotionnellement pour être objectif

Avant de considérer le moindre élément venant de cette personne, sachez que…

Vu ce que tu as fait avant, tu n’es pas en position de donner des leçons

Tu n’as jamais été sur le terrain, donc ton avis ne vaut rien

De toute façon, avec ton profil, on sait très bien comment tu penses

Personne de sérieux ne dit ce genre de chose

Ils sont reconnaissables parce qu’ils commencent par des “tu es…”, “tu as…”, “tu fais…” au lieu de se concentrer sur l’argument et de tenter de montrer qu’il est inexact.

Un exemple assez magistral d’ad hominem a captivé des millions de téléspectateurs lors du débat présidentiel du deuxième tour en France le 2 mai 2012 par François Hollande, face à Nicolas Sarkozy. Cette anaphore a permis de marquer les esprits pendant ce face-à-face et a probablement décidé du sort de Sarkozy. Pas moins de 17 fois, François Hollande a répété “Moi, président de la République…” suivi de “je ne ferais pas”… sous-entendu “ce que Sarkozy a fait” ou “ “je ferais… sous-entendu “ce que Sarkozy n’a pas fait”. 

Préparée dans les moindres détails et appris par cœur, cet enchaînement a rapidement fait perdre de la crédibilité à Nicolas Sarkozy tout en se gardant bien de démontrer que tout ce qui était indirectement reproché était réel et sans jamais citer son nom. Quel dommage qu’après un tel tour de force, François Hollande n’ait pas réussi à séduire les Français au point de s’éviter la honte de se représenter aux élections de 2017.

Comment aborder ces arguments fallacieux ?

Voyons d’abord trois choses, ce qu’il est recommandé d’éviter :

  1. Se justifier longuement
  2. Attaquer en retour
  3. Prouver qu’on est « quelqu’un de bien »

Voici ensuite trois idées à appliquer :

  1. Dissocier la personne de l’idée : si tu veux discuter de moi, faisons-le séparément. Quel est ton argument sur le fond ?
  2. Recadrer logiquement : ce que tu dis ne concerne pas l’argument, j’aimerais que tu répondes précisément à ce que j’ai soulevé
  3. Le miroir : donc, si je comprends bien, le fait d’être qui je suis rend automatiquement mon raisonnement caduc ?

En résumé, un ad hominem ne se contredit pas, il se désamorce en jugulant ses effets.

Cela nécessite du sang-froid, de la confiance en soi et une bonne préparation. 

Voici quelques exemples de répliques assertives qui ont pour objectif de neutraliser l’effet de l’ad hominem :

Ce n’est pas une réponse à l’argument

Quel est ton point sur le fond ?

Parlons du sujet, pas de moi.

En quoi cela invalide l’argument ?

Peux-tu formuler un contre-argument factuel ? 

En quoi mon identité invaliderait mon raisonnement ?

Pour terminer, voici trois façons de retourner l’ad hominem contre son utilisateur, sans l’attaquer à son tour, mais bien en exposant son mécanisme en public en partant du principe que la personne qui l’utilise reconnait implicitement être à court d’arguments :

  1. Dénoncer le procédé : là, tu ne réponds pas à l’argument, tu parles de moi. Ça signifie-t-il que tu n’as pas de réponse sur le fond ?
  2. Renversement de charge : en quoi ce que tu dis sur moi invalide précisément cet argument ?
  3. Le cadre et les règles : Quand on attaque la personne plutôt que l’argument, c’est généralement qu’on n’a plus d’éléments sur le fond. Revenons au sujet.

Bon courage face aux ad hominem. Ne lâchons pas prise, faisons triompher l’esprit critique et l’assertivité.