
Pour celles et ceux qui ont apprécié l’humour omniprésent dans le film « La vérité si je mens », ce sera une agréable surprise de re-visionner une scène épique dans l’épisode 2, dont la sortie date de 2001, où 4 personnages se font face : Daniel Prévost et Pierre-François Martin-Laval d’une part, Richard Anconina, Bruno Solo, d’autre part.
Daniel Prévost y joue le rôle du directeur des achats d’une grande enseigne de la grande distribution, flanqué de son adjoint Pierre-François Martin-Laval. Ils sont en discussion avec deux vendeurs de vêtements : Richard Anconina et Bruno Solo.
Malgré la volonté des scénaristes de forcer le trait, la scène est époustouflante de réalisme et de correspondance avec la réalité à laquelle font face les fournisseurs dans ce secteur professionnel, à savoir la dépendance plus ou moins grande au bon vouloir des acheteurs.
Pour celles et ceux qui ont vécu cette situation, il apparaîtra comme assez évident de ressentir l’absence de leviers de discussion du côté « vendeur » et l’impression que du côté acquéreur, se concentrent tous les pouvoirs. Et ils en usent et abusent.
Relevons deux détails qui pourraient paraître anodins, s’ils n’étaient l’illustration de pratiques dangereuses et potentiellement destructrices, présentes dans la dynamique qu’imposent certains acteurs de la grande distribution à leurs fournisseurs
1) La phrase : « pour moi, votre collection, ce n’est qu’une affaire, pour vous…. ce sera peut-être la dernière ! »
2) L’arrivée constante de nouveaux sujets sur la table de discussion, qui résonnent comme autant d’impositions faites aux fournisseurs.
Le présent article est consacré au point 1). Un autre article appelé « Où le saucisson est tout sauf une denrée comestible » sera consacré au point 2).
Avant d’effectuer un zoom avant sur le point 1), un préalable s’impose.
Dans le secteur des enseignes de la grande distribution, il sera particulièrement utile d’estimer notre niveau de “neediness”, ce que l’on pourrait traduire par “niveau de besoin éprouvé à trouver un accord”. Attention toutefois à bien faire la distinction entre la perception et la réalité, la perception prenant le pas, dans beaucoup de cas, sur la réalité, tout comme nos croyances ont la « peau dure » et ont trop souvent le dernier mot, même lorsque nous faisons face à des faits que certains nous présentent comme étant irréfutables !
En d’autres termes, c’est la perception de ce besoin de parvenir à un accord qui détermine notre niveau de « neediness » et c’est également ce que percevra tout interlocuteur expérimenté, rompu aux techniques de communication non verbale pour certains d’entre eux et qui sera capable de décoder expressions du visage, gestuelle et postures, afin d’en extraire une information utile à l’adaptation de sa stratégie.
Cette notion de « neediness » a fait l’objet d’études sérieuses et est étroitement liée aux notions de MESORE (meilleure solution de rechange) et à celle de levier (capacité à un moment donnée, à faire avancer les discussions dans le sens de nos intérêts).
Prenons un exemple :
Vous vendez une de vos voitures de collection afin de rembourser une somme d’argent importante que la banque vous réclame dans un délai très court, 15 jours. La voiture vaut certainement 85000€, d’après l’estimation d’un expert et vous avez besoin de 65000€ pour la banque.
Vous rencontrez un acheteur potentiel qui vous fait une proposition à 72000€, non négociable.
Vous savez que si vous acceptez cette proposition, vous réunissez la somme dont vous avez besoin pour vous acquitter de la dette bancaire, mais cela ne vous enchante pas de faire une “affaire très moyenne”. De plus, vous devez convaincre l’interlocuteur de faire affaire et de payer rapidement. S’il perçoit un besoin important, il pourrait être tenté de baisser le montant de sa proposition en contrepartie d’un paiement dans les 15 jours. Et si le prix qu’il est prêt alors à payer est inférieur à 65000€, vous ne réglez rien.
Si votre MESORE est inexistante ou de très mauvaise qualité, cela vous affaiblit davantage puisque cela suppose que vous trouviez un arrangement avec l’acheteur actuel.
Si et le montant à percevoir et la date butoir sont deux grosses difficultés, vous avez vraiment besoin de l’autre pour parvenir à vos fins, mais à quel prix ? Allez-vous risquer de dévoiler votre situation ? Compliqué !
De plus, la valeur ajoutée et la différentiation de l’offre de la partie vendeuse, positionnent cette dernière comme plus unique . Plus la valeur ajoutée est élevée, moins il est aisé de trouver des alternatives. Plus la différentiation est grande, moins il est facile de comparer des éléments comparables.
A qui le status-quo profite-t-il le plus » ? Autrement dit, « qui souffrirait le plus d’un non-changement de la situation » ?
Cette simple question détermine en partie comment se répartissent certains pouvoirs autour de la table de négociation, quels sont les leviers utilisables pour faire avancer les discussions et quels sont les enjeux auxquels sont soumis les protagonistes.
Cette simple question donne également une indication intéressante sur la manière dont le temps s’exerce sur les interlocuteurs.
La phrase : « pour moi, votre collection, ce n’est qu’une affaire, pour vous…. ce sera peut-être la dernière ! » exprime à la fois la notion de souffrance vis à vis du status-quo, le « poids » des enjeux et celui du temps.
Comment dès lors réagir ?
Une piste consistera en la meilleure compréhension possible EN AMONT de sa situation et nécessitera la constitution d’une solide MESORE. Il sera nécessaire de répondre à la question : « que faire si nous ne parvenons pas à un accord avec ces interlocuteurs ? » et d’y revenir régulièrement pour jauger notre progression
Une autre piste concerne une meilleure information des pratiques des protagonistes. Comment sont-ils mesurés ? Quel est leur mandat ? Qui décide ? Quels sont les sujets de discussions et les exigences qui atterriront sur la table de négociation, à un moment donné ? Quelle est leur MESORE ? Autant de questions (et quelques autres) auxquelles nous devrons tout faire pour apporter une réponse. Tout est utile. Rien n’est trivial.